vendredi 18 mars 2016

La petite FAQ du militant


Article rédigé en collaboration avec Manipulation Marineland et Isabelle Van der Wende


Avec le développement d'Internet et des réseaux sociaux, l'information circule plus vite, et son accès est grandement facilité. Il est aussi beaucoup plus aisé de se tenir informé de l'avancée d'une cause, des opérations organisées (manifestations, happenings, rassemblements militants, crowd-funding, etc...) et d'y prendre part.
Les outils numériques encouragent l'individu à s'investir dans la défense d'une cause, en lui laissant plus de libertés, et en lui permettant d'agir à son niveau, avec ses atouts et ses préférences, ses contacts personnels, malgré ses limites (géographiques, physiques ou financières), à tout moment et où qu'il se trouve.
C'est un vrai atout pour l'avancement d’un combat, et pour l'accès de tous au militantisme.
Car le militantisme peut prendre plusieurs formes, toutes valables et complémentaires, et toutes nécessaires.

Cependant, si l'Information est beaucoup plus accessible et que la diffusion d'une nouvelle peut devenir très vite virale, la désinformation et les idées reçues se répandent tout aussi vite. Si tout le monde peut publier sur son blog personnel, son profil Facebook ou son compte Twitter, dans ce tourbillon d'informations de sources diverses, le lecteur oublie un peu trop souvent de vérifier la véracité des informations diffusées, avant de les diffuser lui-même.

Dans cet article, vous retrouverez quelques aspects légaux du militantisme sur lequel circulent beaucoup d'idées reçues, parfois ancrées depuis longtemps, alors que la législation, elle, évolue sans cesse.

  • Liberté d'expression et diffamation :

- Qu'est-ce que la liberté d'expression et quelles en sont ses limites ?

L’article 19 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme de 1948 annonce : "Tout individu a droit à la liberté d'opinion et d'expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d'expression que ce soit."
Dans l’article 10 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, il est également dit que “ Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière.”
Une précision suit : “L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire.”
Ainsi, les principales limites à la liberté d’expression en France sont la diffamation et l’injure, et les propos incitant à la haine (apologie de crimes contre l'humanité, propos antisémites, racistes ou homophobes).
Si la colère est compréhensible et parfois même légitime, elle n’excuse pas la tenue de discours haineux. Les publier sur un espace de diffusion public (que ce soit dans la rue, sur une affiche, un tract, un blog, ou sur les réseaux sociaux) est interdit par la loi et passible de poursuites judiciaires.
Un exemple croisé fréquemment sur les réseaux sociaux : souhaiter la mort dans d’atroces souffrances aux employés des delphinariums. Non seulement cela donne une très mauvaise image des opposants à la captivité des cétacés, les décrédibilisant, ainsi que les associations et collectifs sur les pages desquels apparaissent de tels commentaires, mais cela est puni par la loi. Il ne faut pas oublier que Facebook est un espace de diffusion public.

Dans le cas du militantisme de tout un chacun, c’est la question de la protection de la réputation et des droits d’autrui qui nous intéresse plus particulièrement. Dans le cas d’une entreprise, comme les delphinariums, qu’est-ce que la loi nous autorise à dire publiquement et à diffuser ?


- Qu'est ce que la diffamation ? Comment l'éviter ?

La survie d’une entreprise telle que les delphinariums étant entièrement basée sur la fréquentation du public et les entrées achetées, l’image que véhicule celle-ci est très importante. Elle l’est d’autant plus lorsque la justification éthique d’une telle entreprise est questionnée, ce qui est de plus en plus le cas, les médias et l’opinion publique tournant de plus en plus en défaveur des parcs. Le Marineland d’Antibes est particulièrement sous le feu des projecteurs depuis les inondations d’octobre 2015 et le scandale lié à des accusations de pollution de l’environnement à la suite de celles-ci.
Le parc antibois défend chèrement son image. Ainsi, en 2003, il intentait un procès à l’association de défense des cétacés Aarluk, qui avait diffusé les photos du transfert de l’orque Shouka, née au sein du parc, vers les USA. Le motif de la plainte concernait la diffusion non-autorisée des photos des orques du Marineland et du directeur de l’époque Mike Ridell. Marineland martelant sans cesse que les orques vivent en famille au sein du parc (pour se défendre des accusations de séparation de groupes par les transferts), il s’agissait avant tout de garder sous silence le transfert de Shouka, qui est une preuve flagrante du contraire.

En 2004, la cour a rendu son verdict : aucune faute n’a été retenue contre l’association, tant sur le droit à l’image que sur la diffamation.

En effet, la notion de “bonne foi” permet de se prémunir d’éventuelles accusations de diffamations. Cette notion est détaillée sur le site du gouvernement service-public.fr comme suit :
“La bonne foi suppose le cumul de quatre critères :
  • la prudence et la mesure dans l'expression, sans exagération ni affirmation péremptoire,
  • l'absence d'animosité personnelle contre le plaignant,
  • la présence d'un but légitime : informer sur un scandale sanitaire par exemple,
  • et le sérieux de l'enquête, distinct de la véracité des faits. Les accusations du prévenu, qu'il soit journaliste ou non, doivent avoir une base factuelle suffisante même s'il s'est trompé au final. Le prévenu doit prouver qu'il n'a pas lancé ces accusations au hasard ou menti délibérément.”

Ainsi, dans le cadre d’une cause légitime, et dans le cadre de l’utilité au débat public (but polémique ou critique), il y a peu de chances que l’opposant prenne le risque d’intenter des poursuites. Il n’y gagnerait qu’une mauvaise publicité (ce qu’il a tout intérêt à éviter) et des frais superflus, car les juges ne sanctionneront pas.
Dans le cas de l’affaire des photos du transfert de Shouka prises par Aarluk, le tribunal n’a même pas retenu les accusations d’atteinte de droit à l’image (pourtant légitimes, concernant les humains du moins) de Mike Ridell.

 Cependant, lors de la rédaction d’un article, tract ou communiqué sur les réseaux sociaux, il convient d’observer des règles de prudence élémentaire comme l’emploi du conditionnel, de la forme interrogative et de sources nombreuses et fiables (Wikipedia étant une encyclopédie libre et participative, on ne peut la considérer comme telle).


  • Utilisation d'une marque ou d'un logo :    

- Ai-je le droit d'utiliser le nom d'une entreprise pour créer des visuels militants contre celle-ci ?

La réponse est oui, car il ne s’agit pas d’une utilisation de la marque dans un but commercial (pas de concurrence, ni de « contrefaçon » au sens couramment utilisé du terme).
« Pour les juges, le débat public ou politique, par opposition au discours commercial, ne saurait être limité par le droit des marques. »
Le 22 février 1995, le Tribunal de grande instance de Paris avait jugé que « l'usage [d'une marque] dans un but d'information ne constitue pas une contrefaçon.  »

- Puis-je utiliser un logo déposé pour créer des visuels, des logos, des t-shirts  dans un but militant ?

Là encore, la réponse est oui.
L’usage des logos est assimilé au droit des marques. L’usage d’un logo détourné n’est pas considéré comme une contrefaçon, dès lors qu’il intervient dans un but légitime d’intérêt général, et hors de la sphère commerciale.


  • Le cas des réseaux sociaux :    

- Que dit la loi au sujet d'Internet (Facebook, Twitter, blogs et sites internet) ?

La législation encadrant la liberté d’expression s’applique également sur Internet.
Cette législation est récente, notamment parce que la plupart des réseaux sociaux appartiennent à des sociétés américaines et que la liberté d’expression est plus large aux USA. Mais elle s’est particulièrement renforcée en France concernant les propos incitant à la haine (cités plus haut).
(source)

- Puis-je utiliser le nom d'une entreprise pour créer un site internet, une page ou un évènement sur Facebook, dans un but militant ?

Là encore, la réponse est oui, toujours en restant dans le cadre de l’intérêt public (but critique ou polémique).
Le cas des sites “jeboycottedanone.com” et “jeboycottedanone.net” a fait jurisprudence, les auteurs ayant remporté le procès intenté par Danone en appel.


  • Manifestation et happening :

- Quelles sont les conditions légales d'une organisation de manifestation ?

En France, manifester est un droit constitutionnel et fondamental, cependant toute manifestation doit faire l’objet d’un déclaration préalable, au moins 3 jours à l’avance (conditions de la déclaration ICI). Cette réglementation est destinée à prévenir de tous troubles à l’ordre public. Si la manifestation est finalement interdite, il est possible de saisir un juge administratif, agissant dans les 48h. « Ce dernier opère un contrôle très vigilant sur les autorités de police, en exigeant que toutes les mesures de restriction en matière de manifestation soient strictement proportionnées aux nécessités de l’ordre public. » (source)

Le tractage n’est pas soumis à autorisation. S’il n’est pas interdit, c’est qu’il est autorisé, y compris pour les professionnels. Cependant il existe tout de même quelques règles :
  • Interdiction de distribuer des tracts aux occupants de voitures en circulation
  • Interdictions les jours de scrutins
  • Mentions légales : nom et domicile de l’imprimeur, ainsi qu’une mention incitant à la collecte ou valorisation des déchets (le plus souvent « ne pas jeter sur la voie publique » mais on peut en utiliser d’autre)
  • Ramassage des tracts à terre : obligation de le faire dans un rayon de 30 mètres autour du lieu de tractage, ou le long de l’itinéraire lors de tractage mobile. Cette obligation concerne au moins Paris (ville soumise à une réglementation spécifique), il est cependant recommandé le faire en tous lieux, notamment par souci de propreté de l’espace public.



- Puis-je organiser un happening à titre personnel et dans quelles conditions ?

Certaines associations, notamment 269 Life, organisent régulièrement des happenings en petits groupes avec diffusion de films, mise en scènes choc dénonçant les conséquences pour les animaux de la consommation de viande, etc….

Il est intéressant d’évoquer un phénomène devenu viral il y a quelques années, celui des « Apéros Facebook ». Ces rassemblements, initiés par des anonymes sur internet, ont pris une ampleur qui a quelque peu dépassé les pouvoirs publics.
Lors de celui organisé à Nantes (qui a regroupé plus de 9 000 personnes) un jeune homme a trouvé la mort. Dans ce cas extrême et heureusement rare, le procureur a déclaré : « Il y a une responsabilité sociale et une responsabilité morale, pas de responsabilité pénale. Si on poursuivait le premier garçon qui, il y a quelques mois, a lancé l'idée sur Internet, pourquoi ne poursuivrait-on pas le second qui l'a encouragé ou encore le troisième qui a dit qu'il allait venir avec des amis à lui? »
A noter cependant qu’un tel rassemblement occasionnant des dégradations de l’espace public, notamment les détritus, la personne à l’origine de l’évènement peut être tenue de réparer les dégâts.

La principale entrave à l’organisation de tels événements est la notion de trouble à l’ordre public. Et là-dessus, la législation est assez floue.

Cependant, il est tout à fait possible légalement d’organiser soi-même, à titre individuel, un happening, dès lors qu’il ne devient pas un rassemblement (pour lequel une autorisation est en principe nécessaire). Vous pouvez tout à fait par exemple vous asseoir dans un espace public avec votre ordinateur portable pour y diffuser un film.
Ce faisant, vous vous exposez néanmoins à un autre risque juridique, celui concernant la propriété artistique et le téléchargement. Toutefois, de nombreux films militants sont mis par leurs auteurs à la disposition de ceux qui souhaitent les diffuser afin de porter le message.


En conclusion, le principe de liberté d’expression offre tout un panel de possibilité d’action à qui souhaite militer pour une cause, que ce soit via les réseaux sociaux, un blog ou un site, ou avec une pancarte lors de manifestations. Et dès lors que le but soutenu est légitime, d’intérêt public, critique ou polémique, on a tout à fait le droit d’user de détournement de logos, ou de citation de marques. Les seules limites sont les injures, les propos incitant à la haine… et bien entendu l’imagination !

Liens connexes 

Le SLAPP (baillonner la liberté d’expression par la menace de poursuites judicaires) :


Guide juridique du militant anti-nucléaire :

Guide du manifestant arrêté :

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